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Marie Turcan En classe de 1ère S

 
Descente au Paradis   

 

La paire de ciseaux s’entrouvrit légèrement, se rapprochant lentement du fil d’or qui brillait dans l’obscurité presque complète de la nuit. D’un mouvement vif et impitoyable, les deux lames se rassemblèrent dans un cliquetis. Le seul lien qui rattachait Jules Valernes à la vie venait d’être sectionné.
      Atropos avait pris le coup de main, au cours des quelques milliers de siècles qu’elle avait passés à inlassablement couper les fils de vie des mortels. De décennies en décennies, le geste était devenu plus précis, plus souple, et il arrivait même que l’aînée des Trois Parques parvienne à sectionner plus de dix fils en même temps, sans jamais avoir à s’y reprendre une deuxième fois. A ses côtés, sa sœur maniait le fuseau, tissant infatigablement les fils des destinées humaines. Clotho avait beau être la plus jeune des Parques, elle n’en était pas moins sérieuse et appliquée. Lachésis enviait d’ailleurs énormément les responsabilités qu’on lui avait confiées. En effet, cette dernière, qui n’était chargée que de surveiller les grains de sables filer lentement dans le sablier de vie de chaque être humain, passait la plupart du temps allongée sur le rebord du « Puits aux Hommes », à se prendre de passion pour la vie des mortels sur Terre.
      Située sur une plateforme à deux minutes de l’Olympe, la villa des Trois Parques, et plus particulièrement son jardin, offrait en effet une vue imprenable sur la Terre, et Lachésis avait personnellement demandé à Zeus s’il avait été possible d’installer d’immenses télescopes afin d’en apprendre plus sur ce monde qu’elle ne voyait auparavant qu’entre deux grains de sable. Ce dernier, ne pouvant résister aux charmes de la cadette des trois soeurs, sur lesquelles les siècles ne faisaient que glisser sans changer leur apparence, n’avait pas hésité une seule seconde à faire construire un immense cylindre qu’il avait planté au milieu de la plateforme. Il y avait ensuite ajouté un oculaire, de la taille exacte du cercle, qu’il avait soudé à ce dernier en un coup de foudre. Ainsi, depuis quelques milliers d’années, Lachésis s’accoudait au bord de ce qu’elle avait baptisé « Le Puits aux Hommes », et se penchait juste assez pour voir les Êtres Humains de près… ou, du moins, de pas trop loin. Il arrivait même à la jeune déesse d’approcher son visage si près de l’oculaire, que parfois sa joue touchait le verre froid, et la tirait de ce monde dans lequel elle s’était pour quelques minutes immergée.
      Dire que Lachésis aimait les humains serait une erreur. En effet, si  elle nourrissait un intérêt sans limites pour eux, elle n’en avait pas moins un regard extrêmement critique sur leur mode de vie, et surtout sur la façon dont ils traitaient leurs égaux. Si l’Olympe était peuplée de Dieux passifs, incapables, et plus inintéressants les uns que les autres, elle avait au moins le mérite d’être régie par un gouvernement très strict en terme de relations sociales et d’égalité.
      Chaque jour s’accompagnait de la découverte d’un nouveau défaut dans le caractère des Hommes, et d’une nouvelle faille dans leur « Société ». Certains dormaient sur le pavé des trottoirs, pauvres et amaigris, alors que d’autres s’empiffraient de sandwichs et boissons caloriques en tout genre. Ils se jugeaient sur leur apparence, leur argent, et réglaient leurs problèmes dans le sang. Le nombre de meurtriers augmentait d’heure en heure, et faute de pouvoir l’arrêter, les Hommes avaient banalisé le phénomène.
      Ainsi, chaque fois que la cadette des trois Parques se sentait quelque peu déprimée, elle observait le monde des Humains, pour se rappeler que le sien ne serait jamais aussi perverti et irrécupérable. L’idée de rencontrer un jour un seul de ces monstres lui donnait la chair de poule.
      Une chose l’effrayait néanmoins plus que toutes les autres : le fait que les Hommes croyaient en l’amour, et qui plus est, au coup de foudre. Cet optimisme résumait à lui seul leur plus grande faiblesse : l’espoir. S’il arrivait par hasard qu’une personne réalise à quel point son monde était perverti, elle en considérait toujours un hypothétique meilleur. Le fait que deux personnes puissent tomber éperdument amoureuses l’une de l’autre au premier regard, sans se connaître, sans s’être jamais vues, illustrait parfaitement cette certitude que les Hommes avaient toujours eue ; la conviction que le meilleur restait toujours à venir. Un optimiste répugnant qui ne donnait que plus de raisons à Lachésis d’aimer son Olympe et d’abhorrer tout ce qui se rapportait à la race Humaine.

      Une légère tape sur l’épaule tira la déesse de ses pensées.
« On a un problème. » lui dit Clotho alors qu’elle faisait déjà demi-tour pour rejoindre sa sœur aînée, qui se trouvait momentanément en charge des ciseaux et du fuseau, sur la terrasse de leur villa.
« Qu’y a-t-il de si important ? » demanda Lachésis mollement. En guise de réponse, Atropos lui lança un sablier bleu qu’elle attrapa au vol.
« Oui… En effet ceci est un sablier de vie dont tout le sable s’est écoulé… Cela veut donc dire qu’il faut que tu coupes un fil… Tout ce branle-bas de combat pour cela ? Atropos, je comprends que tu sois fatiguée, mais quand même… Tu veux que je le fasse à ta place ? 
- Mais après toi ! » répondit sa sœur en lui tendant le fil doré et la paire de ciseau.
Lachésis prit négligemment le fil entre deux doigts et le laissa pendre vers le bas, alors qu’elle avançait les lames du ciseau. D’un geste sec les lames se refermèrent. Une fois. Deux fois. Trois fois.
« Tes ciseaux sont usés, ils ne coupent plus c’est tout. Tu penses, ils doivent être aussi vieux que toi ! 
- J’avais pensé à cela et je suis déjà allée en demander une autre paire, figures-toi que tu l’as en main !
- Bon, soit, le fil ne veut pas se laisser couper. En même temps… Pourquoi s’embêter ? Cet homme vivra un peu plus longtemps, il n’a qu’à y gagner !
- Lachésis. Chaque fil que Clotho tisse fait partie d’un ensemble. Chaque vie est régie par un sablier qui annonce quand une personne doit mourir. Ceci est la destinée, et l’on ne peut jouer avec. Si cette personne ne meurt pas, les conséquences qu’il pourrait y avoir sont bien trop importantes pour que nous puissions prendre le risque de penser que cet homme, de par ses actes, ne chamboulera pas le Destin de l’Humanité. Zeus a déjà réuni tous les Dieux pour un conseil en urgence, auquel j’ai assisté. Une décision a été prise. Nous devons régler le problème nous-mêmes.
- Nous trois ? » demanda une Clotho incrédule.
« Oui. Ils nous ont demandé de remettre les choses en place le plus vite possible. Chaque minute que cet homme passe sur Terre est un risque supplémentaire pour le Destin d’être altéré. » répondit Atropos.
« Mais cela voudrait dire que…
- Oui. Une de nous doit descendre sur Terre pour le tuer. »

      Ce dernier mot résonna sur les murs de la terrasse, se brisant sur les visages des trois déesses comme le mouvement d’une vague sur un rocher, qui ne laisse sur la paroi lisse de la pierre qu’un mince filet d’eau. Clotho essuya la larme qui roulait le long de sa joue.
« Je ne le ferai pas. Filer me donne l’impression de créer des vies, je serais incapable d’en enlever une seule. » dit-elle.
« Si je descends, personne ne s’occupera de les enlever, comme tu dis ! Vous ne savez pas utiliser une paire de ciseaux ! » argua l’aînée des trois Parques. Les deux sœurs se tournèrent vers la cadette.
«  Ah non ! Il n’en est pas question ! Ces humains sont tous fous ! Si jamais je descends dans cette fosse, ce n’est pas un, mais un million de ces monstres que je tuerai !
- Au moins ce n’est pas la pitié qui t’empêchera d’accomplir ta mission… Tu n’as pas le choix Lachésis, tu es la seule à pouvoir le faire !
- Bon. Comment suis-je supposée l’exécuter sans avoir à supprimer des témoins – non que cela soit gênant – mais bon…
- Le Conseil a déjà pensé à cela, et seul l’Humain en question pourra te voir. Il te suffira d’utiliser cette… arme à feu qu’un ange s’est procuré.
- Ils appellent ça un « flingue ». Ils tuent beaucoup plus facilement avec cela car ils n’ont pas l’impression d’avoir de sang sur les mains. Tout à distance.
- Lachésis, tu ne dois pas apprécier ce moment. C’est la première et la dernière fois que tu descendras sur Terre, et tuer est un crime, même si nous le supervisons. Tu seras en danger à tout moment, car susceptible de mourir si l’Humain se défend.
- Oui, oui, c’est bon j’ai bien compris. »

      La déesse prit l’arme des mains de sa sœur, et se dirigea vers la plateforme destinée à la conduire jusque sur Terre.
« Lachésis ! » l’interpella Atropos
« Oui ?
- Pendant que tu descendras, Clotho et moi essayerons de couper son fil de toutes les manières possibles, pour t’éviter d’avoir à tuer Erwan.
- Je t’ai déjà dit que tuer un de ces Humains ne peut être que bénéfique pour…
- Quoi ?
- Nous n’avions jamais dit son prénom avant.
- En effet, tu veux en savoir plus sur lui ?
- Pas le moins du monde, allons-y. »

      Lachésis quitta la terrasse et monta sur la plateforme pilotée par deux anges. Il ne restait plus que dix minutes de vol avant d’atterrir directement sur le toit de l’immeuble dans lequel l’Humain travaillait. La déesse n’avait jamais pensé qu’il pouvait avoir un prénom. Elle ne s’était même pas imaginé à quoi il pouvait ressembler. Il était un Homme, cela lui suffisait.

       « Passe-moi la hache.
- La hache ???
- Oui, il faut tout essayer ! »
Atropos souleva l’objet de toutes ses forces et l’abattit violemment sur le fil doré.
« Intact… » murmura Clotho.

       « Nous nous approchons de Sydney, Lachésis. »
Une ville parmi tant d’autres. Un homme parmi tant d’autres. Un fil parmi tant d’autres. Pour  la première fois Lachésis se posa la question qui paraissait pourtant la plus évidente de toutes.

      « Mais pourquoi lui ??? » s’écria Clotho alors que sa sœur s’évertuait à tirer de part et d’autre du fil dans l’espoir qu’il se rompe.
« Je ne sais pas, Clotho, je ne sais pas ! Tout ce que je peux t’assurer, c’est que ce fil doit être sectionné. Cet homme doit mourir !
- Peut-être que cela n’a rien à voir avec le hasard… Peut-être qu’Erwan doit accomplir quelque chose avant d’être enlevé à son monde. Quelque chose qui n’a pas encore eu lieu !
- Et que veux-tu que ce jeune homme fasse tout seul ? Résoudre tous les problèmes sur Terre ?
- Je n’ai pas dit que cela devait forcément se situer à l’échelle mondiale ! Peut-être qu’il doit aider quelqu’un ! Peut-être qu’il doit sauver quelqu’un ! »

      La plateforme se posa sur le toit du building.
« Désolé Lachésis, mais vous devrez faire le reste du chemin à pied. Il vous suffit de descendre ces escaliers, l’Humain travaille au rez-de-chaussée. Ne vous inquiétez pas, personne ne peut vous voir excepté lui.
- Oui, oui… Je sais…
- Je vous souhaite bonne…
- Je peux vous demander quelque chose ?
- Oui, allez-y !
- Qu’est-ce qu’il… Enfin je veux dire… Quelle place occupe-t-il dans la société des Hommes ?
- D’après le Conseil, il sert les cappuccinos dans un café-bar.
- Des… quoi ? »

      « Qui veux-tu qu’il sauve, – passe moi le sécateur –, l’homme sert des cafés !! 
- Je ne sais pas, je dis simplement que rien n’arrive par hasard ! Nous en sommes le principal exemple ! » répondit la déesse tandis qu’elle attrapait la paire de ciseaux posée à côté du sablier de vie d’Erwan. Elle s’immobilisa.
« Atropos… J’ai trouvé. »

      Lachésis descendit d’un pas lent les escaliers en dévisageant chaque personne qu’elle croisait. Elle poussa la porte de la cage d’escalier qui portait l’écriteau « Rez-de-chaussée » et pénétra dans le café. La salle était grande et éclairée par un soleil d’été qui s’introduisait par les larges fenêtres donnant sur Garden Street. Le café-bar était bondé et les tables presque toutes  occupées par des clients qui discutaient et riaient ensemble. La déesse fut frappée par l’absence d’armes dans leurs mains, et par les sourires et les mines enjouées qu’ils arboraient. Elle se tourna alors vers le comptoir du bar, et elle le vit.

      « Attends, ce n’est pas possible, ce n’est pas cette chose ridicule qui nous a causé tant de problèmes ! » s’écria Atropos.
«  Et pourtant si ! » répondit Clotho en agitant le sablier de vie. « Tu vois, là, le grain de sable est resté coincé dans le sablier ! C’est pour cela que nous n’arrivions pas à couper le fil ! Il suffit de taper légèrement sur le côté du sablier pour que le grain tombe ! Regarde ! » dit la déesse tout en s’exécutant.
« Bien, va vite prévenir Lachésis que ce n’est plus la peine qu’elle tue le mortel ! » déclara Atropos tout en empoignant sa paire de ciseaux.

      Son regard avait croisé le sien et tout deux avaient été arrêtés dans leur mouvement. Lachésis restait immobile, hypnotisée par les yeux bleu clair d’Erwan qui la fixaient toujours. Bien que la définition du temps n’eût jamais eu aucun sens pour elle, il semblait pourtant qu’il s’était arrêté. Alors que l’homme l’observait, elle sentit inconsciemment ses lèvres esquisser un sourire.

      Clotho courut aussi vite qu’elle put en direction du puits aux Hommes. Elle se pencha, essoufflée, et s’écria : «  Lachésis ! C’est bon, remonte, on a résolu le problème ! »

      La déesse s’approcha du jeune homme. Plus rien n’existait. Plus rien excepté son regard, son visage, cet inconnu qui lui souriait et qu’elle aimait.

      La paire de ciseaux s’entrouvrit légèrement, se rapprochant lentement du fil d’or qui brillait plus intensément que jamais. D’un mouvement vif et impitoyable, les deux lames se rassemblèrent dans un cliquetis. Le seul lien qui rattachait Erwan à la vie venait d’être sectionné.

 
 
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